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Loin de toi dans l’opprobre ils meurent avilis ;
Pour conserver leur trône ils doivent être unis.
Alors de l’univers ils forcent les hommages :
Tout, jusqu’à Plutus même, encense leurs images ;
Tout devient juste alors ; et le peuple et les grands,
Quand l’homme est respectable, honorent les talents.
Ainsi l’on vit les Grecs prôner d’un même zèle
La gloire d’Alexandre et la gloire d’Apelle ;
La main de Phidias créa des immortels,
Et Smyrne à son Homère éleva des autels.
Nous, amis, cependant, de qui la noble audace
Veut atteindre aux lauriers de l’antique Parnasse,
Au rang de ces grands noms nous pouvons être admis ;
Soyons cités comme eux entre les vrais amis.
Qu’au-delà du trépas notre âme mutuelle
Vive et respire encor sur la lyre immortelle.
Que nos noms soient sacrés, que nos chants glorieux
Soient pour tous les amis un code précieux.
Qu’ils trouvent dans nos vers leur âme et leurs pensées ;
Qu’ils raniment encor nos muses éclipsées,
Et qu’en nous imitant ils s’attendent un jour
D’être chez leurs neveux imités à leur tour.

(1782.)


II


Ami, chez nos Français ma muse voudrait plaire ;
Mais j’ai fui la satire à leurs regards si chère.
Le superbe lecteur, toujours content de lui,
Et toujours plus content s’il peut, rire d’autrui,
Veut qu’un nom imprévu, dont l’aspect le déride,
Égayé au bout du vers une rime perfide ;
Il s’endort si quelqu’un ne pleure quand il rit.
Mais qu’Horace et sa troupe irascible d’esprit
Daignent me pardonner, si jamais ils pardonnent :
J’estime peu cet art, ces leçons qu’ils nous donnent
D’immoler bien un sot qui jure en son chagrin,
Au rire acre et perçant d’un caprice malin.