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Quand Nicoclès mourait au sein de Phocion ;
C’est aux murs où Lycurgue a consacré sa vie,
Où les vertus étaient les lois de la patrie.
Ô demi-dieux amis ! Atticus, Cicéron,
Caton, Brutus, Pompée, et Sulpice, et Varron !
Ces héros, dans le sein de leur ville perdue.
S’assemblaient pour pleurer la liberté vaincue.
Unis par la vertu, la gloire, le malheur,
Les arts et l’amitié consolaient leur douleur.
Sans l’amitié, quel antre ou quel sable infertile
N’eût été pour le sage un désirable asile,
Quand du Tibre avili le spectre ensanglanté
Armait la main du vice et la férocité ;
Quand d’un vrai citoyen l’éclat et le courage
Réveillaient du tyran la soupçonneuse rage ;
Quand l’exil, la prison, le vol, l’assassinat.
Étaient pour l’apaiser l’offrande du Sénat !
Thraséas, Soranus, Sénécion, Rustique,
Vous tous, dignes enfants de la patrie antique,
Je vous vois tous amis, entourés de bourreaux,
Braver du scélérat les indignes faisceaux.
Du lâche délateur l’impudente richesse.
Et du vil affranchi l’orgueilleuse bassesse.
Je vous vois, au milieu des crimes, des noirceurs,
Garder une patrie, et des lois, et des mœurs ;
Traverser d’un pied sûr, sans tache, sans souillure.
Les flots contagieux de cette mer impure ;
Vous créer, au flambeau de vos mâles aïeux,
Sur ce monde profane un monde vertueux.

Oh ! viens rendre à leurs noms nos âmes attentives.
Amitié ! de leur gloire ennoblis nos archives.
Viens, viens : que nos climats, par ton souffle épurés.
Enfantent des rivaux à ces hommes sacrés.
Rends-nous hommes comme eux. Fais sur la France heureuse
Descendre des Vertus la troupe radieuse.
De ces filles du ciel qui naissent dans ton sein.
Et toutes sur tes pas se tiennent par la main.
Ranime les beaux-arts, éveille leur génie,
Chasse de leur empire et la haine et l’envie :