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Qu’il est beau de savoir, digne d’un tel lien,
Au repos d’un ami sacrifier le sien !
Plaindre de s’immoler l’occasion ravie,
Être heureux de sa joie et vivre de sa vie !

Si le ciel a daigné d’un regard amoureux
Accueillir ma prière et sourire à mes vœux,
Je ne demande point que mes sillons avides
Boivent l’or du Pactole et ses trésors liquides ;
Ni que le diamant, sur la pourpre enchaîné,
Pare mon cœur esclave au Louvre prosterné ;
Ni même, vœu plus doux ! que la main d’Uranie
Embellisse mon front des palmes du génie ;
Mais que beaucoup d’amis, accueillis dans mes bras,
Se partagent ma vie et pleurent mon trépas ;
Que ces doctes héros, dont la main de la Gloire
À consacré les noms au temple de Mémoire,
Plutôt que leurs talents, inspirent à mon cœur
Les aimables vertus qui firent leur bonheur ;
Et que de l’amitié ces antiques modèles
Reconnaissent mes pas sur leurs traces fidèles.
Si le feu qui respire en leurs divins écrits
D’une vive étincelle échauffa nos esprits ;
Si leur gloire en nos cœurs souffle une noble envie,
Oh ! suivons donc aussi l’exemple de leur vie :
Gardons d’en négliger la plus belle moitié ;
Soyons heureux comme eux au sein de l’amitié.
Horace, loin des flots qui tourmentent Cythère,
Y retrouvait d’un port l’asile salutaire ;
Lui-même au doux Tibulle, à ses tristes amours.
Prêta de l’amitié les utiles secours.
L’amitié rendit vains tous les traits de Lesbie ;
Elle essuya les yeux que fit pleurer Cynthie.
Virgile n’a-t-il pas, d’un vers doux et flatteur,
De Gallus expirant consolé le malheur ?
Voilà l’exemple saint que mon cœur leur demande.
Ovide, ah ! qu’à mes yeux ton infortune est grande !
Non pour n’avoir pu faire aux tyrans irrités
Agréer de tes vers les lâches faussetés ;
Je plains ton abandon, ta douleur solitaire.