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Sous ses hauts monts ainsi l’Allobroge recèle,
Sous ses monts, de l’hiver la patrie éternelle,
Et les fleurs du printemps et les biens de l’été.
Sur leurs arides fronts le voyageur porté
S’étonne. Auprès des rocs d’âge en âge entassée,
En flots âpres et durs brille une mer glacée.
À peine sur le dos de ces sentiers luisants
Un bois armé de fer soutient ses pas glissants.
Il entend retentir la voix du précipice.
Il se tourne et partout un amas se hérisse
De sommets ou brûlés ou de glace épaissis.
Fils du vaste mont Blanc sur leurs têtes assis,
Et qui s’élève autant au-dessus de leurs cimes
Qu’ils s’élèvent eux-mêmes au-dessus des abîmes.
Mais bientôt à leurs pieds qu’il descende ; à ses yeux
S’étendent mollement vallons délicieux,
Pâturages et prés, doux enfants des rosées,
Trient, Cluses, Magland, humides Élysées,
Frais coteaux, où partout sur des flots vagabonds
Pend le mélèze altier, vieil habitant des monts.


XVII


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Je t’indique le fruit qui m’a rendu malade ;
Je te crie en quel lieu, sous la route, est caché
Un abîme, où déjà mes pas ont trébuché.
D’un mutuel amour combien doux est l’empire !
Heureux, et plus heureux que je ne saurais dire,
Deux cœurs qui ne font qu’un, dont la vie et l’amour
N’auront, dans un long temps, qu’un même dernier jour !
Mais bien peu, qu’ont séduits de si douces chimères.
Ont fui le repentir et les larmes amères.
Ô poètes amants ! conseillers dangereux,
Qui vantez la douceur des tourments amoureux,
Votre miel déguisait de funestes breuvages ;
Sur les rochers d’Eubée, entourés de naufrages,
Allumant dans la nuit d’infidèles flambeaux,