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De ses charmes secrets les contours gracieux.
Quand l’âge aura sur nous mis sa main flétrissante,
Que pourra la beauté, quoique toute-puissante ?
Vainement exposée à nos regards confus.
Nos cœurs en la voyant ne palpiteront plus.
Il faudra bien qu’armés de la philosophie,
Oubliant le plaisir alors qu’il nous oublie,
La science nous offre un utile secours
Qui dispute à l’ennui le reste de nos jours.
C’est alors qu’exilé dans mon champêtre asile,
De l’antique sagesse admirateur tranquille.
Du mobile univers interrogeant la voix.
J’irai de la nature étudier les lois :
Par quelle main sur soi la terre suspendue
Voit mugir autour d’elle Amphitrite étendue ;
Quel Titan foudroyé respire avec effort
Des cavernes d’Etna la ruine et la mort ;
Quel bras guide les cieux ; à quel ordre enchaîné
Le soleil bienfaisant nous ramène l’année ;
Quel signe aux ports lointains arrête l’étranger ;
Quel autre sur la mer conduit le passager,
Quand sa patrie absente et longtemps appelée
Lui fait tenter l’Euripe et les flots de Malée ;
Et quel, de l’abondance heureux avant-coureur,
Arme d’un aiguillon la main du laboureur.

Cependant jouissons ; l’âge nous y convie.
Avant de la quitter, il faut user la vie.
Le moment d’être sage est voisin du tombeau.
Allons, jeune homme, allons, marche ; prends ce flambeau.
Marche, allons. Mène-moi chez ma belle maîtresse.
J’ai pour elle aujourd’hui mille fois plus d’ivresse.
Je veux que des baisers plus doux, plus dévorants,
N’aient jamais vers le ciel tourné ses yeux mourants.


XI


Souffre un moment encor ; tout n’est que changement ;
L’axe tourne, mon cœur ; souffre encore un moment.