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Ou la nuit, accourant au sortir de la table,
Si Laure m’a fermé le seuil inexorable.
Je regagne mon toit. Là, lecteur studieux,
Content et sans désirs, je rends grâces aux dieux.
Je crie : Ô soins de l’homme, inquiétudes vaines !
Oh ! que de vide, hélas ! dans les choses humaines !
Faut-il ainsi poursuivre au hasard emportés
Et l’argent et l’amour, aveugles déités !
Mais si Plutus revient, de sa source dorée,
Conduire dans mes mains quelque veine égarée ;
À mes signes, du fond de son appartement,
Si ma blanche voisine a souri mollement :
Adieu les grands discours, et le volume antique,
Et le sage Lycée, et l’auguste Portique ;
Et reviennent en foule et soupirs et billets.
Soins de plaire, parfums et fêtes et banquets.
Et longs regards d’amour et molles élégies,
Et jusques au matin amoureuses orgies.


X


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Fumant dans le cristal, que Bacchus à longs flots
Partout aille à la ronde éveiller les bons mots.
Reine de mes banquets, que Lycoris y vienne ;
Que des fleurs de sa tête elle pare la mienne ;
Pour enivrer mes sens, que le feu de ses yeux
S’unisse à la vapeur des vins délicieux.
Amis, que ce bonheur soit notre unique étude ;
Nous en perdrons sitôt la charmante habitude !
Hâtons-nous, l’heure fuit. Hâtons-nous de saisir
L’instant, le seul instant donné pour le plaisir.
Un jour, tel est du sort l’arrêt inexorable,
Vénus, qui pour les dieux fit le bonheur durable,
À nos cheveux blanchis refusera des fleurs,
Et le printemps pour nous n’aura plus de couleurs.
Qu’un sein voluptueux, des lèvres demi-closes
Respirent près de nous leur haleine de roses ;
Que Phryné sans réserve abandonne à nos yeux