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Bien loin de les éteindre, aiguillonnait mes feux.
Ma main courait saisir, de transports chatouillée,
Sa tête noblement folâtre, échevelée.
Elle riait ; et moi, malgré ses bras jaloux,
J’arrivais à sa bouche, à ses baisers si doux ;
J’avais soin de reprendre, utile stratagème !
Les fleurs que sur son sein j’avais mises moi-même ;
Et sur ce sein, mes doigts égarés, palpitants.
Les cherchaient, les suivaient, et les ôtaient longtemps.
Ah ! je l’aimais alors ! Je l’aimerais encore.
Si de tout conquérir la soif qui la dévore
Eût flatté mon orgueil au lieu de l’outrager.
Si mon amour n’avait qu’un outrage à venger.
Si vingt crimes nouveaux n’avaient trop su l’éteindre,
Si je ne l’abhorrais ! Ah ! qu’un cœur est à plaindre
De s’être à son amour longtemps accoutumé,
Quand il faut n’aimer plus ce qu’on a tant aimé !
Pourquoi, grands dieux ! pourquoi la fîtes-vous si belle ?
Mais ne me parlez plus, amis, de l’infidèle :
Que m’importe qu’un autre adore ses attraits.
Qu’un autre soit le roi de ses festins secrets ;
Que tous deux en riant ils me nomment peut-être ;
De ses cheveux épars qu’un autre soit le maître ;
Qu’un autre ait ses baisers, son cœur ; qu’une autre main
Poursuive lentement des bouquets sur son sein ?
Un autre ! Ah ! je ne puis en souffrir la pensée !
Riez, amis ; nommez ma fureur insensée.
Vous n’aimez pas, et j’aime, et je brûle, et je pars
Me coucher sur sa porte, implorer ses regards ;
Elle entendra mes pleurs, elle verra mes larmes ;
Et dans ses yeux divins, pleins de grâces, de charmes,
Le sourire ou la haine, arbitres de mon sort,
Vont ou me pardonner, ou prononcer ma mort.


IX


Tel j’étais autrefois et tel je suis encor.
Quand ma main imprudente a tari mon trésor,