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S’éteint. L’empire fuit dès que Thémis farouche
N’a que flammes, gibets, tortures à la bouche.
Elle lutte, on résiste. Et ce fatal combat
Use l’âme du peuple et les nœuds de l’État.
Sous une loi de sang un peuple est sanguinaire.
Quand d’un crime léger la mort est le salaire,
Tout grand forfait est sûr. Débile à se venger
La loi ne prévient plus même un crime léger.
La balance est en nous. Le pouvoir d’un caprice
N’a point fondé les droits, la raison, la justice :
Ils sont nés avec l’homme et ses premiers liens.
Tel crime nuit aux mœurs, aux droit des citoyens,
Trouble la paix publique, outrage la nature ;
À ce modèle inné que la loi les mesure :
Que le coupable ingrat soit exclu de jouir
De mêmes biens communs qu’il osait envahir ;
Qu’à tous les yeux, aux siens, par une loi certaine,
La nature du crime en indique la peine.
Clairvoyantes alors les lois dans le danger
N’apportent point au mal un remède étranger.
La peine, du forfait compagne involontaire,
N’est qu’un juste équilibre, un talion sévère
Que n’épouvante point le scélérat puissant,
Que n’ensanglante point la mort de l’innocent.

La loi dans les esprits se glisse, s’insinue,
Les fait penser comme elle et fascine la vue.
Ce qu’elle dit supplice est supplice tout prêt ;
Ce qu’elle nomme un prix est un prix en effet.
Je veux qu’aux citoyens la justice vengée,
L’honneur d’avoir bien fait, la patrie obligée,