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Que leurs vers, de Téthys respectant le sommeil,
N’aillent plus dans ses flots rallumer le soleil ;
De la cour d’Apollon que l’erreur soit bannie,
Et qu’enfin Calliope, élève d’Uranie,
Montant sa lyre d’or sur un plus noble ton,
En langage des dieux fasse parler Newton !
Oh ! si je puis un jour !… Mais quel est ce murmure ?
Quelle nouvelle attaque et plus forte et plus dure ?
Ô langue des Français ! est-il vrai que ton sort
Est de ramper toujours, et que toi seule as tort ?
Ou si d’un faible esprit l’indolente paresse
Veut rejeter sur toi sa honte et sa faiblesse ?
Il n’est sot traducteur, de sa richesse enflé,
Sot auteur d’un poème ou d’un discours sifflé,
Ou d’un recueil ambré de chansons à la glace,
Qui ne vous avertisse, en sa fière préface,
Que, si son style épais vous fatigue d’abord,
Si sa prose vous pèse et bientôt vous endort,
Si son vers est gêné, sans feu, sans harmonie,
Il n’en est point coupable : il n’est pas sans génie ;
Il a tous les talents qui font les grands succès ;
Mais enfin, malgré lui, ce langage français,
Si faible en ses couleurs, si froid et si timide,
L’a contraint d’être lourd, gauche, plat, insipide,
Mais serait-ce Le Brun, Racine, Despréaux
Qui l’accusent ainsi d’abuser leurs travaux ?
Est-ce à Rousseau, Buffon, qu’il résiste infidèle ?
Est-ce pour Montesquieu, qu’impuissant et rebelle,
Il fuit ? Ne sait-il pas, se reposant sur eux,
Doux, rapide, abondant, magnifique, nerveux,
Creusant dans les détours de ces âmes profondes,