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Couronné dans les champs de Némée et d’Élide ;
Allons voir au théâtre, aux accents d’Euripide,
D’une sainte folie un peuple furieux
Chanter : Amour, tyran des hommes et des dieux ;
Puis, ivres des transports qui nous viennent surprendre,
Parmi nous, dans nos vers, revenons les répandre ;
Changeons en notre miel leurs plus antiques fleurs ;
Pour peindre notre idée empruntons leurs couleurs ;
Allumons nos flambeaux à leurs feux poétiques ;
Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques.

Direz-vous qu’un objet né sur leur Hélicon
À seul de nous charmer pu recevoir le don ;
Que leurs fables, leurs dieux, ces mensonges futiles,
Des Muses noble ouvrage, aux Muses sont utiles ;
Que nos travaux savants, nos calculs studieux,
Qui subjuguent l’esprit et répugnent aux yeux,
Que l’on croit malgré soi, sont pénibles, austères,
Et moins grands, moins pompeux que leurs belles chimères ?
Voilà ce que traités, préfaces, longs discours,
Prose, rime, partout nous disent tous les jours.
Mais enfin, dites-moi, si d’une œuvre immortelle
La nature est en nous la source et le modèle,
Pouvez-vous le penser que tout cet univers,
Et cet ordre éternel, ces mouvements divers,
L’immense vérité, la nature elle-même,
Soit moins grande en effet que ce brillant système
Qu’ils nommaient la nature, et dont d’heureux efforts
Disposaient avec art les fragiles ressorts ?
Mais quoi ! ces vérités sont au loin reculées,
Dans un langage obscur saintement recelées :