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bornes de mes talents, je ne serai point orné, mais clair ; point véhément pour entraîner, mais évident pour convaincre ; et je chercherai moins la gloire d’une éloquence abondante, qu’une nerveuse et succulente brièveté, content si l’on trouve plutôt cet ouvrage trop court que trop long, et si les penseurs vertueux en approuvent le but, le ton, les principes, si ma précision leur cause quelques regrets, si, en le lisant, il leur en fait faire un plus beau, et s’ils disent qu’on y peut ajouter beaucoup, mais qu’il est impossible d’en rien ôter.


VI[1]


[Écrit en 1788.]


Ils étaient façonnés tellement à la servitude, qu’ils semblaient incorporés avec elle, ne vivre que dans elle, ne pas concevoir un autre état. Ils s’en estimaient heureux ; ils étaient féconds en beaux raisonnements, en excellentes plaisanteries contre les peuples qui avaient eu le malheur de n’être pas, comme eux, asservis sous un joug bien tyrannique. Ils regardaient comme un scélérat ou comme un fou tout homme convaincu de n’être pas un vil esclave. Plus l’esclavage était muet et rampant, plus ils en faisaient cas. Ce n’est point une exagération, cela est vrai à la lettre, et les expressions familières à leur langue en

  1. Publié par M. de Latouche, dans la Revue de Paris, numéro de mars 1830. Selon M. de Latouche, ce fragment est daté de 1788.