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les lois. Je puis, autant que ma nature m’aidera, chercher la vérité sans déguisement, la trouver sans que des préjugés me l’obscurcissent, et la dire sans que ni désir, ni espérance, ni crainte, viennent altérer ma franchise ou la rendre muette. Je n’ai même pas voulu que des intérêts plus honnêtes pussent retenir ma plume ; j’ai fui, par cette raison, de me lier avec quantité de gens de bien et de mérite, dont il est honorable d’être l’ami et utile d’être l’auditeur, mais que d’autres circonstances ou d’autres idées ont fait agir et penser autrement que moi. L’amitié et la conversation familière exigent au moins une conformité de principes : sans cela les disputes interminables dégénèrent en querelles et produisent l’aigreur et l’antipathie. De plus, prévoir que mes amis auraient lu avec déplaisir ce que j’ai toujours eu dessein d’écrire, m’eût été amer : je n’avais donc que ce moyen d’éviter, en écrivant, le reproche de prévarication ou d’ingratitude ; car, ou l’amitié vous empêche de dire ce que vous croyez vrai, ou, si vous le dites toujours, on vous accuse de dureté, et l’on vous regarde et l’on vous peint comme un homme intraitable et farouche, sur qui la société n’a point de pouvoir, et l’amitié point de droit.

Tels sont les motifs et la fin de cet écrit ; et comme ce qui se dit bien en trois mots n’est jamais si bien dit en quatre, et qu’un bon livre n’est pas celui qui dit tout, mais qui fait beaucoup penser, j’établirai mes idées premières sans en épuiser les conséquences ; je laisserai le lecteur se développer bien des choses à lui-même ; et me renfermant de bon gré dans les