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lectures, et voyant, par la méditation, que, la tyrannie s’usant elle-même, des circonstances pouvaient naître où les lettres pourraient seules réparer le mal dont elles avaient souffert et qu’elles avaient propagé, ils prirent quelquefois la plume pour hâter cette résurrection autant qu’il était en eux. Pour moi, ouvrant les yeux autour de moi au sortir de l’enfance, je vis que l’argent et l’intrigue sont presque la seule voie pour aller à tout : je résolus donc, dès lors, sans examiner si les circonstances me le permettaient, de vivre toujours loin de toute affaire, avec mes amis, dans la retraite et dans la plus entière liberté. Choqué de voir les lettres si prosternées et le genre humain ne pas songer à relever sa tête, je me livrai souvent aux distractions et aux égarements d’une jeunesse forte et fougueuse ; mais, toujours dominé par l’amour de la poésie, des lettres et de l’étude ; souvent chagrin et découragé par la fortune ou par moi-même ; toujours soutenu par mes amis, je sentis au moins dans moi que mes vers et ma prose, goûtés ou non, seraient mis au rang du petit nombre d’ouvrages qu’aucune bassesse n’a flétris. Ainsi, même dans les chaleurs de l’âge et des passions, et même dans les instants où la dure nécessité a interrompu mon indépendance, toujours occupé de ces idées favorites, et, chez moi, en voyage, le long des rues, dans les promenades, méditant toujours sur l’espoir, peut-être insensé, de voir renaître les bonnes disciplines, et cherchant à la fois, dans les histoires et dans la nature des choses, les causes et les effets de la perfection et de la décadence des lettres, j’ai cru qu’il serait bien de resserrer en