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mier fruit de l’imagmation humaine, où les rhythmes harmonieux et les vives descriptions de guerres patriotiques et de choses saintes et primitives, exaltaient la pensée et enflammaient le courage. Puis, quand, les établissements fixés, les fortunes assurées, les ennemis chassés, on goûta le loisir et l’abondance, les arts de la paix naquirent en foule. Le temps et les révolutions étrangères ou domestiques avaient éclairé sur plus d’objets : on chercha la célébrité par les monuments de l’esprit. On trouva juste de donner et d’obtenir l’immortalité pour récompense du mérite ; on raconta d’autrui avec enthousiasme, ou de soi avec fidélité ; et joignant, pour le bien public, celle-ci aux autres institutions salutaires, les poètes, par leurs peintures animées, les orateurs, par leurs raisonnements pathétiques, les historiens, par le récit des grands exemples, les philosophes, par leurs discussions persuasives, firent aimer et connaître quelques secrets de la nature, les droits de l’homme et les délices de la vertu.

Certes, alors les lettres furent augustes et sacrées, car elles étaient citoyennes. Elles n’inspiraient que l’amour des Lois, de la Patrie, de l’Égalité, de tout ce qui est bon et admirable ; que l’horreur de l’injustice, de la tyrannie, de tout ce qui est haïssable et pernicieux ; et l’art d’écrire ne consistait point à revêtir d’expressions éblouissantes et recherchées des pensées fausses ou frivoles, ou point de pensées du tout, mais à avoir la même force, la même simplicité dans le style que dans les mœurs, à parler comme on pensait, comme on vivait, comme