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désir de la gloire. De ce désir ou de celui d’être utile naît l’émulation, source de mille biens dans toute société bien ordonnée, puisqu’alors elle aiguillonne chaque homme à se montrer parfait dans la vertu, et le meilleur entre les bons. Ce sentiment est bien loin de l’envie ; car il est fondé sur la conscience de ses talents et de sa probité, et sur l’estime qu’on fait d’autrui ; et l’envie est un aveu d’impuissance et d’infériorité.

Deux choses étant plus que les autres le fruit du génie et du courage, et ordinairement de tous deux, mènent plus souvent à la vraie gloire : ce sont les grandes actions qui soutiennent la chose publique, et les bons écrits qui l’éclairent. Bien faire est ce qui peut le plus rendre un homme grand ; bien dire n’est pas non plus à dédaigner ; et souvent un bon livre est lui-même une bonne action ; et souvent un auteur sage et sublime, étant la cause lente de saines révolutions dans les mœurs et dans les idées, peut sembler avoir fait lui-même tout ce qu’il fait faire de bien. Mais dans les commencements des républiques, la vertu étant encore un peu rude et agreste, et chacun ne veillant qu’à s’établir sûrement, à travailler sa terre, à maintenir sa famille, à protéger le pays par le glaive, on ne songeait point aux lettres, on s’évertuait chez soi, on suait à l’armée ; avec peu d’expérience on n’avait que peu à dire dans la place publique ; on laissait de hauts faits à narrer, sans s’occuper de narrer ceux d’autrui ; et pour toutes lettres, on chantait et on se transmettait de bouche des poésies chaudes et populaires, toujours le pre-