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V[1]

PREMIER CHAPITRE D’UN OUVRAGE SUR LES CAUSES ET LES EFFETS DE LA PERFECTION ET DE LA DÉCADENCE DES LETTRES.


Il n’y a de bonheur pour aucune espèce vivante, qu’à suivre ce à quoi la nature la destine. Les hommes, d’après la perfection de leur voix et de leurs organes, et leur inquiétude à chercher toujours quelque chose, à se dégoûter du présent, à s’étendre en tout sens, à s’élancer en de nouvelles idées, et à laisser des vestiges de leur existence, doivent sentir que la nature ne les a point créés pour ne connaître que les soins et les appétits de la vie animale, comme les bêtes, mais pour agir d’esprit non moins que de corps et pour vivre ensemble.

Nulle société ne pouvant durer sans l’équité et la justice, elle les a faits capables de moralité dans leurs actions ; ils sont donc composés de raison et de passions. Les unes, mal dirigées, aveuglent et perdent l’autre ; mais quand les unes sont réglées par des mœurs saines et de bonnes lois, et que l’autre reste libre et vraie, alors la raison nous fait juger ce qui est bon et utile, et les passions nous échauffent d’un amour avide pour ce qui est beau et illustre. Quelques-uns, plus grands que tous, n’ont que le pur enthousiasme de la vertu ; d’autres y joignent le

  1. Publié dans l’édition de 1819.