Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 2.djvu/311

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

XI[1]


 
Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphire
Anime la fin d’un beau jour,
Au pied de l’échafaud j’essaye encor ma lyre.
Peut-être est-ce bientôt mon tour.
Peut-être avant que l’heure en cercle promenée
Ait posé sur l’émail brillant,
Dans les soixante pas où sa route est bornée,
Son pied sonore et vigilant,
Le sommeil du tombeau pressera ma paupière !
Avant que de ses deux moitiés
Ce vers que je commence ait atteint la dernière,
Peut-être en ces murs effrayés
Le messager de mort, noir recruteur des ombres,
Escorté d’infâmes soldats,
Ébranlant de mon nom ces longs corridors sombres[2],
Où seul, dans la foule à grands pas
J’erre, aiguisant ces dards persécuteurs du crime,
Du juste trop faibles soutiens,
Sur mes lèvres soudain va suspendre la rime ;
Et chargeant mes bras de liens,
Me traîner, amassant en foule à mon passage
Mes tristes compagnons reclus,
Qui me connaissaient tous avant l’affreux message,
Mais qui ne me connaissent plus.

  1. Édition 1819, complétée par M. G. de Chénier.
  2. L’édition de 1819 terminait la pièce par ce vers ainsi écrit :
    Remplira de mon nom ces longs corridors sombres.