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III[1]

AUX MUSES[2]

 
On dit que le dédain froid et silencieux
Devint une ardente colère,
Lorsque le Moniteur vous eut mis sous les yeux
Le sot fatras du sot Barère[3] ;
Qu’au Phœbus convulsif de l’ignare pédant,
De honte et de terreur troublées,
Votre front se souvint de ce Thrace impudent[4],
Qui vous eût toutes violées.
On dit plus : mais je sais combien chez nos plaisants
Grâce, pucelage, et faconde
Exposent une belle à des bruits médisants :
Ils veulent que sur cette immonde,
Vous ayez, mais tout bas, aux effroyables sons
D’apostrophes trop masculines,
Joint pied-plat, gredin, cuistre, et d’autres maudissons,
Peu faits pour vos lèvres divines ;
Dignes de lui, d’accord ; mais indignes de vous.
Ces gens n’ont point votre langage,
N’apprenez point le leur. Un ignoble courroux
Justifie un ignoble outrage.

  1. Composé dans les derniers jours du mois de janvier 1794.
  2. Édition de G. de Chénier.
  3. Dans la séance du 7 pluviose.
  4. Pyrène. Voy. l’histoire de Pyrène et des Muses dans une lettre de Racine à La Fontaine. Œuvres complètes de Racine, édition Saint-Marc Girardin et Louis Moland, t. VII, p 392. Barère était député des Hautes-Pyrénées.