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D’un fisc avare et dur maudissant la rigueur,
Versant aux pieds des grands tes larmes inutiles,
Tout trempé de sueurs pour toi-même infertiles,
Découragé de vivre, et plein d’un juste effroi
De mettre au jour des fils malheureux comme toi ;
Tu vois sous les soldats les villes gémissantes ;
Corvées, impôts rongeurs, tributs, taxes pesantes,
Le sel, fils de la terre, ou même l’eau des mers,
Source d’oppression et de fléaux divers ;
Vingt brigands, revêtus du nom sacré de prince[1],
S’unir à déchirer une triste province,
Et courir à l’envi, de son sang altérés,
Se partager entre eux ses membres déchirés !
Ô sainte égalité ! dissipe nos ténèbres,
Renverse les verrous, les bastilles funèbres.
Le riche indifférent, dans un char promené,
De ces gouffres secrets partout environné,
Rit avec les bourreaux, s’il n’est bourreau lui-même :
Près de ces noirs réduits de la misère extrême,
D’une maîtresse impure achète les transports,
Chante sur les tombeaux et boit parmi les morts.

Malesherbes, Turgot, ô vous en qui la France
Vit luire, hélas ! en vain, sa dernière espérance ;
Ministres dont le cœur a connu la pitié,
Ministres dont le nom ne s’est point oublié
Ah ! si de telles mains, justement souveraines,
Toujours de cet empire avaient tenu les rênes !

  1. On a vu dans le caneras en prose :
    Mille brigands couverts du nom sacré du prince.