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Pense aux noms des Trudaine et bénit leur ouvrage[1] ?

Ton peuple industrieux est né pour les combats.
Le glaive et le mousquet n’accablent point ses bras.
Il s’élance aux assauts, et son fer intrépide
Chassa l’impie Anglais, usurpateur avide.
Le ciel les fit humains, hospitaliers et bons,
Amis des doux plaisirs, des festins, des chansons ;
Mais faibles, opprimés, la tristesse inquiète
Glace ces chants joyeux sur leur bouche muette,
Pour les jeux, pour la danse appesantit leurs pas,
Renverse devant eux les tables des repas,
Flétrit de longs soucis, empreinte douloureuse,
Et leur front et leur âme. Ô France ! trop heureuse
Si tu voyais tes biens, si tu profitais mieux
Des dons que tu reçus de la bonté des cieux !

Vois le superbe Anglais, l’Anglais dont le courage
Ne s’est soumis qu’aux lois d’un sénat libre et sage,
Qui t’épie et, dans l’Inde éclipsant ta splendeur,
Sur tes fautes sans nombre élève sa grandeur.
Il triomphe, il t’insulte. Oh ! combien tes collines
Tressailliraient de voir réparer tes ruines,
Et pour la liberté donneraient sans regrets,
Et leur vin, et leur huile, et leurs belles forêts !
J’ai vu dans tes hameaux la plaintive misère,
Le mendicité blême et la douleur amère.
Je t’ai vu dans tes biens, indigent laboureur,

  1. Trudaine, directeur des Ponts et Chaussées sous Louis XV. C’était l’aïeul des frères Trudaine, les amis de collège d’André.