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glais dont le courage le sauve de tout naufrage, l’Anglais qui t’épie et s’enrichit de tes fautes, t’insulte et triomphe… Oh ! combien tes collines tressailliraient de se voir libres et donneraient volontiers leur vin et leur huile pour la liberté… J’ai vu dans les villages les mendiants… l’image de la misère… les paysans foulés aux pieds par les grands, découragés… impôts, sur le sel, corvées, exacteurs, mille brigands couverts du nom sacré du prince désolant une province et se disputant ses membres déchirés.[1]


 
France ! ô belle contrée, ô terre généreuse
Que les dieux complaisants formaient pour être heureuse,
Tu ne sens point du Nord les glaçantes horreurs.
Le midi de ses feux t’épargne les fureurs.
Tes arbres innocents n’ont point d’ombres mortelles,
Ni les poisons épars dans tes herbes nouvelles
Ne trompent une main crédule. Ni tes bois
Des tigres frémissants ne redoutent la voix.
Ni les vastes serpents ne traînent sur tes plantes,
En longs cercles hideux, leurs écailles sonnantes.

Les chênes, les sapins et les ormes épais
En utiles rameaux ombragent tes sommets.
Et de Beaune et d’Ay les rives fortunées,
Et la riche Aquitaine, les hautes Pyrénées,
Sous leurs bruyants pressoirs font couler en ruisseaux
Des vins délicieux mûris sur leurs coteaux.
La Provence, odorante et du zéphyr aimée,
Respire sur les mers une haleine embaumée,
Au bord des flots couvrant, délicieux trésor,

  1. Ce canevas a été publié par M. Becq de Fouquières, dans le Temps du 1er novembre 1878.