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Il s’endort si quelqu’un ne pleure quand il rit.
Mais qu’Horace et sa troupe irascible d’esprit
Daignent me pardonner, si jamais ils pardonnent :
J’estime peu cet art, ces leçons qu’ils nous donnent
D’immoler bien un sot qui jure en son chagrin,
Au rire âcre et perçant d’un caprice malin.
Le malheureux déjà me semble assez à plaindre
D’avoir, même avant lui, vu sa gloire s’éteindre
Et son livre au tombeau lui montrer le chemin,
Sans aller, sous la terre au trop fertile sein,
Semant sa renommée et ses tristes merveilles,
Faire à tous les roseaux chanter quelles oreilles
Sur sa tête ont dressé leurs sommets et leurs poids[1].

Autres sont mes plaisirs. Soit, comme je le crois,
Que d’une débonnaire et généreuse argile
On ait pétri mon âme innocente et facile ;
Soit, comme ici, d’un œil caustique et médisant,
En secouant le front, dira quelque plaisant,
Que le ciel, moins propice, enviât à ma plume
D’un sel ingénieux la piquante amertume,
J’en profite à ma gloire, et je viens devant toi
Mépriser les raisins qui sont trop hauts pour moi.
Aux reproches sanglants d’un vers noble et sévère
Ce pays toutefois offre une ample matière :
Soldats tyrans du peuple obscur et gémissant,

  1. Allusion aux vers de Boileau, satire ix :

    Et s’il ne m’est permis de le dire au papier,
    J’irai creuser la terre, et, comme ce barbier,
    Faire dire aux roseaux, par un nouvel organe :
    Midas, le roi Midas a des oreilles d’âne.