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Et feint de mépriser de sublimes esprits,
Dont il voit que lui-même excite les mépris.
Il adore des dieux dont leur fierté se joue ;
Ils ont fui des écueils où toujours il échoue ;
Il hait de son naufrage un grand homme sauvé,
Trop au-dessus de lui par la gloire élevé.

« Pourquoi, disait le chêne, à mon large feuillage
Imprimer de ta dent le lent et faible outrage,
Insecte ridicule ? Eh ! dis-moi, songes-tu
Que d’un souffle tu meurs, à mes pieds abattu ?
— Oui, dit en écumant la chenille rampante,
Oui ; mais à t’insulter ma haine se contente ;
Ta gloire me déplaît. Ton front impérieux
Méprise ma bassesse, et mon œil envieux ;
Et je voudrais pouvoir, à force de morsures,
Venger de ce mépris les sanglantes injures. »

Ce n’est pas que souvent à l’éloge réduit.
Le peuple ne leur porte un hommage séduit.
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Le fourbe, l’imposteur, l’ambitieux, l’avare
Quelquefois devient juste, et se plaît à vanter
Cette même vertu qu’il prit soin d’éviter.
Il conte à sa famille, au banquet réunie,
Des sages, des héros, et la mort et la vie ;
Aristide, et son nom, et sa noble candeur ;
Socrate, et la ciguë, et le vil délateur.
Au nom de ces Romains, fiers de leur indigence.
Libres de l’or des rois, riches de tempérance,
Il s’écrie, il se plaint qu’à nos jours ténébreux