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Son souvenir, loin d’elle, a soutenu les jours ;
Elle-même fila de sa main fortunée
Cette trame si belle et sitôt terminée ;
Elle sut, quand la mort te frappait de ses traits,
Sous d’amoureuses fleurs déguiser tes cyprès ;
Ses baisers suspendaient ton âme chancelante.
Et tu tenais sa main de fa main défaillante.
Hélas ! qu’ainsi ne puis-je obtenir du destin
À cette douce vie une si douce fin !

Toi, que le Pinde admire, et que Sulmo[1] vit naître,
Des leçons de Paphos et l’exemple et le maître.
Quand aux glaces du Pont il éteint ton flambeau,
Oses-tu sur l’autel élever ton bourreau ?
Tes muses à genoux vont t’avouer coupable ;
Elles vont, caressant sa main inexorable,
Trahir ton innocence, et ta gloire, et l’honneur.
Ces Scythes qui t’aimaient, qui plaignaient ton malheur,
À recevoir son joug c’est toi qui les prépares.
Ta lyre apprend les sons de leurs lyres barbares ;
Et, d’un vers étranger au Parnasse romain.
Consacre ta bassesse aux rives de l’Euxin !
Vois Gallus, de la cour comme toi la victime,
Préférer à l’opprobre une mort magnanime.
Vois Catulle, de fiel abreuvant ses pinceaux,
Défier de César la haine et les faisceaux.
Plus qu’eux tous outragé, ton courroux dissimule.
Tu peux contre un tyran armer le ridicule ;
Ou du fier Archiloque exhaler les fureurs,

  1. Salmone, patrie d’Ovide.