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Aux citoyens tombés les justes cieux ouverts,
Et l’ardent Phlégéton dévorant les pervers ;
Et l’avenir fameux promis à la vaillance.
On se presse, on accourt. Tout Lesbos, en silence.
Admire son génie égal à sa vertu,
Et l’écoute chanter comme il a combattu.


Un jeune poète soi-disant.


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D’abord d’un pied timide il tente le chemin.
Un petit cercle ami déjà lui tend la main.
Il badine, et l’on rit ; il disserte, il censure ;
Son nom sous un quatrain brille dans le Mercure ;
Dès lors il est poète, et comme tel cité.
Et bientôt, comme tel, en tous lieux présenté.
Il se vante, on le berne ; il se plaît à son rôle ;
Il se dit un grand homme, on en croit sa parole ;
On protège sa pièce, on y bâille, on y dort ;
On court à sa rencontre au moment qu’il en sort ;
On l’embrasse. À souper retenu dès la veille,
Ses couplets impromptus au dessert font merveille.
Tous, même avant qu’il parle, admirent chaque mot ;
Et tous, en l’admirant, savent qu’il n’est qu’un sot.
D’un épais Turcaret la vanité stupide
Au Phœbus affamé vend un appui sordide,
Digne et sot protecteur d’un plus sot protégé.
De là, plus d’un faquin en Mécène érigé.
Et tant de vil rimeurs, tant de fades grimaces ;
Tant d’ineptes écrits, lettres, vers ou préfaces,
Dégoûtant par leur style et par leurs lâchetés,