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.......... la raison à nos yeux
Montrant la vérité, mais comme dans un songe,
Nous réveille asservis sous les nœuds du mensonge.
Qu’elle nous laisse au moins, sans fiel et sans aigreur,
Nous chatouiller en paix d’une flatteuse erreur,
Puisqu’en nous prescrivant ce que nous devons faire,
Elle ne donne point, impuissante et sévère,
La force d’obéir à ses pénibles lois.
La folie a du bon. Dans Athène, autrefois,
Certain fou, chaque jour, descendait au Pirée ;
Nul vaisseau, dans le port, ne faisait son entrée,
Qu’il ne s’en crût le maître ; et, rendant grâce aux cieux,
Il allait, il courait. «. Ah ! c’est toi ? Par les Dieux,
Je n’espérais plus voir ta poupe couronnée.
Quoi ! les blés en Égypte ont manqué cette année ?
Vins de Crète ? fort bien. C’est de l’argent comptant.
Bon ! mes draps de Milet sont beaux. J’en suis content.
Oh ! si l’on me reprend sur ces mers de Sicile !…
Çà, je ne garde plus ce pilote inhabile. »
Ses amis, effrayés d’un mal aussi nouveau,
Épuisent Anticyre à purger son cerveau.
Plein enfin d’ellébore, et redevenu sage,
11 pleure : « Ô mes amis ! vantez bien votre ouvrage,
Dit-il, vous me tuez. Votre art empoisonneur
Guérissant ma folie, a détruit mon bonheur. »
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Est-ce la main d’Achille ou celle de Thersite
Qui, du sage Centaure exerçant les leçons,
D’Orphée aux Grecs oisifs fait entendre les sons ?