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Car les auteurs fameux, d’envie inquiétés,
Ne se livrent point tous à ce plaisant délire
D’orgueil colère et franc dont l’excès nous fait rire.
Il en est, et plus d’un, qui craignant les mépris,
Met à nuire tout l’art qu’il met dans ses écrits ;
S’observe, écoute, voit, jamais ne se déchaîne ;
Ménage son honneur et satisfait sa haine ;
Qui, de tout sot vénal industrieux ami,
Et de tout noble esprit soupçonneux ennemi.
Jaloux de régner seul, tremblant pour sa couronne,
Vrai sultan, ne veut point de frère auprès du trône[1] ;
Sous vos pas, en riant, sème un piège inconnu ;
Tue et ne s’arme point, frappe sans être vu ;
Et, dans ses vils succès d’hypocrite vengeance,
Vous plaint tout haut du mal qu’il vous fait en silence.
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Mais d’envie et de fiel si ses vers sont livides,
Mais s’il vend sans pudeur aux tyrans homicides.
Lui, sa dignité d’homme, et le sort des humains.
Son livre pour jamais est tombé de mes mains.
D’un style ingénieux que sa fertile adresse
Répande autour de lui la grâce enchanteresse.
Ce fleuve pur et clair décèle et trahit mieux
Un fond noir de poisons qui repousse les yeux[2].

  1. L’auteur a mis lui-même en regard de ce vers la note que voici ; Voy. Pope au prol. des Satires, v. 193. (G. de Chénier.)
  2. À la suite de ce morceau le poêle a écrit cette note : Les derniers vers sont d’Addisson dans un poème sur les poètes anglais (G. de Chénier.)