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Les talents plus altiers n’eussent d’autre pensée,
Que de suivre à grands pas leur route commencée,
Sans jamais s’informer, mendiant leurs regards,
S’il est des grands au monde ou s’ils aiment les arts.
Car, au moins, plût au ciel que des sots sans génie,
Seuls, eussent fait des arts l’injuste ignominie !
Mais si de grands esprits, par des travers grossiers,
Presque au niveau des sots s’abaissent les premiers ;
Si l’on voit des mortels longtemps simples, modestes,
Étaler en un jour des changements funestes ;
Chez un roi, chez un prince en un jour installés.
Soudain ouvrir leurs cœurs si longtemps recelés.
Leur front, de ses bontés que leur génie encense,
Emprunter une abjecte et risible insolence ;
Méconnaître, du sein de ces brillants tréteaux
Où l’étaient aux yeux ses Mécènes nouveaux.
Des amis dont jadis la tendresse empressée
A consolé longtemps sa muse délaissée,
On peut juger très-mal et de prose et de vers ;
Mais l’honnête homme est juste, il voit tous ces travers :
De tes décisions l’arrogant laconisme.
Tes éclats ricaneurs, appuis d’un froid sophisme ;
D’un silence affecté l’importante hauteur,
À quelque ouvrage lu par un confrère auteur ;
Une froideur haineuse en tes regards écrite ;
D’un éloge fardé la contrainte hypocrite.
Et si, du moins, encor des juges délicats.
En méprisant ton cœur dont tu fais peu de cas,
Admiraient, comme toi, tes talents, ton ouvrage.
Tu souscrirais sans peine à cet heureux partage.
Mais peu savent assez distinguer leurs mépris.