Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 2.djvu/197

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Ils ne professent point les arts ni le génie.
De rimer, de penser, leur inepte manie.
Soit ignorance entière ou soit zèle pour eux,
Les fait du premier sot admirateurs pompeux.
Que de vrais fils du ciel, s’offrant à la lumière,
Viennent, sans y songer, les rendre à leur poussière,
Soudain le trouble est mis dans leurs petits travaux,
Leur insolent orgueil les regarde en rivaux.
Bientôt sots protecteurs vont semer les alarmes ;
Courent, volent partout ; partout lèvent les armes ;
Pour leurs chers idiots criant, prêchant, plaidant ;
Outrés contre un esprit sublime, indépendant,
Qui sous leurs plats regards a refusé de naître :
Qu’eux-mêmes prôneraient s’il daignait les connaître,
Mais qui, d’un juste orgueil armant son noble front,
De leur appui burlesque a rejeté l’affront.
Ah ! je plains bien les arts quand un sot qui les aime
Ose les protéger, les cultiver lui-même ;
Et que pour ennemis ils ont de sots auteurs,
Et de sots protecteurs et de sols amateurs !


Que les arts cessent donc de mendier l’appui du grand seigneur, que celui-ci les laisse tranquilles.


Le bien qu’il peut leur faire est de ne pas leur nuire.
....................
Sans doute j’aimerais, puisque tels sont leurs vœux,
Que, de leurs beaux talents noblement amoureux,
D’une main clairvoyante, aux poètes sublimes,
Les grands sussent offrir des faveurs magnanimes.
J’aimerais mieux qu’en eux bornant tous leurs désirs,
Trouvant en eux leur prix, leur gloire, leurs plaisirs,