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De la société tyrans présomptueux ;
Haïssant, dédaignant tout ce qui n’est pas eux,
Chacun, dans son esprit, se couronnant d’avance.
Épouse avidement un art, une science,
Ne voit, ne connaît qu’elle, et la tient dans ses bras,
Et répudie au loin tout ce qu’il ne sait pas.
La prose humble et tremblante, à l’orateur laissée,
N’est au rimeur altier qu’un objet de risée.
Mais tous deux ils font voir par preuves et bons mots
Que de parler suffit, et qu’il n’est que des sots
Qui jusques à Newton puissent vouloir descendre.
Ou des siècles éteints ressusciter la cendre.
Lors un pédant, armé de vers grecs et romains,
Nous dit, non en français, que nos efforts sont vains ;
Que la mémoire est tout ; qu’il ne faut plus écrire
Rien qu’autrefois Auguste ou Platon n’ait dû lire ;
Mais un chiffreur pensif, de tels discours blessé,
Lève un front triste et sec d’algèbre hérissé.
Il calcule, et conclut que, de ces mots profanes,
Il résulte que Grecs et Romains sont des ânes ;
Mesure en quel rapport Homère, près de lui,
N’est qu’un rêveur pétri de sottise et d’ennui.
Et ne sait pas (hélas ! il s’ignore lui-même)
Qu’on peut être aussi sot à résoudre un problème
Qu’à rimer un chef-d’œuvre au journal admiré,
Ou rétablir dans Pline un mot défiguré.
Tout blesse leur oreille active et soupçonneuse ;
Leur vanité colère, inquiète, épineuse,
Veille autour d’eux, et va, sans choix et sans raison,