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Aux concerts d’Apollon ne furent point admis,
Vécurent sans maîtresse, et n’eurent point d’amis.

Et ceux qui, par leurs mœurs dignes de plus d’estime,
Ne sont point nés pourtant sous cet astre sublime,
Voyez-les, dans des vers divins, délicieux,
Vous habiller l’amour d’un clinquant précieux ;
Badinage insipide où leur ennui se joue,
Et qu’autant que l’amour le bon sens désavoue.
Voyez si d’une belle un jeune amant épris
À tressailli jamais en lisant leurs écrits ;
Si leurs lyres jamais, froides comme leurs âmes,
De la sainte amitié respirèrent les flammes.
Ô peuples de héros, exemples des mortels !
C’est chez vous que l’encens fuma sur ses autels ;
C’est aux temps glorieux des triomphes d’Athène,
Aux temps sanctifiés par la vertu romaine ;
Quand l’âme de Lélie animait Scipion,
Quand Nicoclès mourait au sein de Phocion[1] ;
C’est aux murs où Lycurgue a consacré sa vie,
Où les vertus étaient les lois de la patrie.
Ô demi-dieux amis ! Atticus, Cicéron,
Caton, Brutus, Pompée, et Sulpice, et Varron !
Ces héros, dans le sein de leur ville perdue,
S’assemblaient pour pleurer la liberté vaincue.
Unis par la vertu, la gloire, le malheur,
Les arts et l’amitié consolaient leur douleur.
Sans l’amitié, quel antre ou quel sable infertile
N’eût été pour le sage un désirable asile,

  1. Plutarque, Phocion, xxxvi.