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affronts faits aux cadavres… et le rêve de Cæecina… et la nuit bruyante et les fêtes et les cris et les chants des barbares… et tous ces autres détails si divinement peints au premier livre des Annales[1]… Je ne sais rien de plus épique nulle part.


OBSERVATIONS GÉNÉRALES


Il faut mettre ceci dans la bouche du poète (qui n’est pas moi).


Le poète divin, tout esprit, tout pensée,
Ne sent point dans un corps son âme embarrassée ;
Il va percer le ciel aux murailles d’azur ;
De la terre, des mers, le labyrinthe obscur.
Ses vers ont revêtu, prompts et légers protées,
Les formes tour à tour à ses yeux présentées.
Les torrents, dans ses vers, du droit sommet des monts
Tonnent précipités en des gouffres profonds.
Là, des flancs sulfureux d’une ardente montagne,
Ses vers cherchent les cieux et brûlent les campagnes ;
Et là, dans la mêlée aux reflux meurtriers,
Leur clameur sanguinaire échauffe les guerriers.
Puis, d’une aile glacée assemblant les nuages
Ils volent, troublent l’onde et soufflent les naufrages,
Et répètent au loin et les longs sifflements,
Et la tempête sombre aux noirs mugissements,
Et le feu des éclairs et les cris du tonnerre.
Puis, d’un œil doux et pur souriant à la terre,
Ils la couvrent de fleurs ; ils rassérènent[2] l’air.

  1. Voyez ci-devant le Théâtre, n° 1.
  2. Cette expression est belle et pittoresque ; j’ignore pourquoi elle