Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 2.djvu/141

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans l’hymne à Délos, Callimaque représente Mars et Iris sur des sommets de montagne faisant trembler la terre et défendant de recevoir Latone. Ces images sont grandes et homériques. Tout ce qui se passera en Amérique et que je raconterai moi-même sera rempli de tableaux homériques, de ce ton-là. Les guerres et combats passes en Asie ou ailleurs seront racontés par des personnages et n’auront point de ces sortes de figures.

Il faut que j’invente entièrement une sorte de mythologie probable et poétique avec laquelle je puisse remplacer les tableaux gracieux des anciens, ces Néréides accompagnant le navire d’une femme, etc…

Il y a des choses pleines de génie et dignes de l’antiquité dans le poème de Sannazar sur l’enfantement de la Vierge. Il revêt le Tout-Puissant d’une robe que la nature lui a tissue, où elle a représenté les mondes, soleils, etc… Il peint le fleuve Jourdain appuyé sur une urne où sont ciselés divers événements analogues au sujet… Il faut donner au Marannon[1] une urne pareille.

Ô nymphes de Mondego… et toi, belle ombre de la belle Inès, qui erres toujours dans les feuilles de ce bocage mélancolique aux bords de cette fontaine… venez m’inspirer.

Ô postérité ! souverain juge !… Tu ne crois point ce que tu lis. Ta accuses les auteurs d’avoir calomnié leurs contemporains. Tu lis avec effroi que des hommes blancs vont acheter des hommes noirs et les plongent vivants dans les mines d’Amérique. — C’est vrai. — Tu lis qu’ils dépendent du plus vain caprice d’un maître imbécile, féroce et doué d’une âme de vil esclave. — C’est vrai. — Que pour la plus légère faute ils sont déchirés de coups de fouet… que… que les femmes se distinguent par leur cruauté à commander et à regarder ces horribles spectacles… — C’est vrai ; rien n’est plus vrai ; c’est la vérité même… barbares Européens, vous faites tant d’institutions inu-

  1. Fleuve des Amazones.