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Par l’appât du plaisir doucement entraîné,
Crédule, et sur la foi d’un sourire volage,
À cette mer trompeuse et se livre et s’engage !
Combien de fois, tremblant et les larmes aux yeux,
Ses cris accuseront l’inconstance des dieux !
Combien il frémira d’entendre sur sa tête
Gronder les aquilons et la noire tempête,
Et d’écueils en écueils portera ses douleurs
Sans trouver une main pour essuyer ses pleurs !
Mais heureux dont le zèle, au milieu du naufrage,
Viendra le recueillir, le pousser au rivage ;
Endormir dans ses flancs le poison ennemi,
Réchauffer dans son sein le sein de son ami,
Et de son fol amour étouffer la semence,
Ou du moins dans son cœur ranimer l’espérance !
Qu’il est beau de savoir, digne d’un tel lien,
Au repos d’un ami sacrifier le sien !
Plaindre de s’immoler l’occasion ravie,
Être heureux de sa joie et vivre de sa vie !

Si le ciel a daigné d’un regard amoureux
Accueillir ma prière et sourire à mes vœux,
Je ne demande point que mes sillons avides
Boivent l’or du Pactole et ses trésors liquides ;
Ni que le diamant, sur la pourpre enchaîné,
Pare mon cœur esclave au Louvre prosterné ;
Ni même, vœu plus doux ! que la main d’Uranie
Embellisse mon front des palmes du génie ;
Mais que beaucoup d’amis, accueillis dans mes bras,
Se partagent ma vie et pleurent mon trépas ;
Que ces doctes héros, dont la main de la Gloire