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ÉPÎTRES





I[1]

À LE BRUN ET AU MARQUIS DE BRAZAIS


 
Le Brun, qui nous attends aux rives de la Seine[2],
Quand un destin jaloux loin de toi nous enchaîne ;
Toi, Brazais, comme moi sur ces bords appelé,
Sans qui de l’univers je vivrais exilé ;
Depuis que de Pandore un regard téméraire
Versa sur les humains un trésor de misère,
Pensez-vous que du ciel l’indulgente pitié
Leur ait fait un présent plus beau que l’amitié ?

Ah ! si quelque mortel est né pour la connaître.
C’est nous, âmes de feu, dont l’Amour est le maître.
Le cruel trop souvent empoisonne ses coups ;
Elle garde à nos cœurs ses baumes les plus doux.
Malheur au jeune enfant seul, sans ami, sans guide,
Qui près de la beauté rougit et s’intimide,
Et, d’un pouvoir nouveau lentement dominé,

  1. Édition 1819.
  2. André Chénier était alors (1782) en garnison à Strasbourg, sous-lieutenant dans le régiment d’Angoumois. Il avait à peine vingt ans.