Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 2.djvu/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passe dans un autre appartement… Ils sortent… « Ma sœur, je vais mourir… Dis à Joachim… Joachim !… » Helcias arrive tout couvert de cendre et de lambeaux… Il embrasse sa fille… Il vient d’apprendre… Mais il sait qu’elle ne saurait être coupable… « Je ne veux que me traîner jusqu’à la porte de tes persécuteurs ; je veux y mourir en les maudissant…


Que ma dernière voix leur soit amère encore ;…
Qu’ils entendent ma mort… ; que la prochaine aurore
Présente mon cadavre à leurs yeux effrayés,
Et qu’ils ne sortent point sans me fouler aux pieds… »


CHANT V


On vient la chercher… Elle marche au supplice…, la tête penchée sur son sein ; pâle, mais tranquille comme l’innocence. Ses esclaves, sa sœur, son père… Les vieillards lui lancent des regards de vile méchanceté satisfaite… Mais Joachim a trouvé ses richesses ; il revient avec des chameaux chargés de trésors… Les présents qu’il destine à sa femme… Il arrive… Il voit une grande foule… Le premier qu’il interroge voudrait pouvoir lui taire : « Joachim ! une épouse, une épouse adultère 1 » Joachim l’éloigne. « Malheureuse, dit-il, sans doute, son époux ne l’aura pas aimée, ne lui aura pas été fidèle, comme Joachim à sa belle Suzanne… Peut-être un autre époux aurait eu en elle une autre Suzanne… » Il approche… Il voit la belle, innocente… ; il tombe à terre demi-mort, en s’écriant : « Ah ! malheureux !… On l’emporte. Elle le suit des yeux en disant : « Toi, Joachim, aussi, tu me juges coupable ? — Non, dit sa jeune sœur, non, peuple ; on vous abuse… Ce sont ces vieillards eux-mêmes qui ont voulu la séduire. » Ils l’interrompent : « Peuple, nous vous l’avons déjà dit… Nous sommes entrés dans la maison de Joachim… — Pour nous informer de lui, ajoute le second vieillard. — Nous