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l’effet qu’il produit toujours sur des méchants : l’envie et la rage de le troubler. Dès longtemps ils en cherchent les moyens. Jadis, à l’insu l’un de l’autre, ils enfantaient les mêmes projets. Depuis, les deux méchants se sont reconnus, et ils méditent ensemble leurs coupables desseins. Sous le voile de l’amitié, ils se sont insinués chez Joachim. Ils le louent, ils lui demandent ses conseils pour juger le peuple. Ainsi, chaque jour, ils repaissent leurs infâmes regards de la vue de sa belle épouse, dont l’âme, pure comme le ciel, leur savait gré de leur tendresse pour son époux. Elle les reçoit avec un sourire, et ne soupçonne pas que ses yeux puissent leur inspirer le crime.


Comparer Suzanne à cet animal couvert d’une fourrure blanche que les chasseurs poussent vers quelque marais fangeux… Alors il recule… et se laisse prendre et tuer plutôt que d’y entrer et de ternir sa robe blanche et pure.


.......et quand la nuit tranquille
Commençait de s’asseoir sur les tours de la ville,
Tous les deux, se glissant par des chemins divers,
Retournent vers ce toit où leur âme est aux fers.
Au seuil de Joachim ils arrivent ensemble,
Se rencontrent. Chacun veut fuir, recule, tremble,
Craint les regards de l’autre, inquiet, incertain,
Confus de son silence. Et Manassès enfin :
« Mais, Séphar, je croyais qu’au sein de ta famille
Tu pressais dans tes bras et ta femme et ta fille.
J’attendais peu qu’ici, pour ne te rien celer…
— Toi-même, dit Séphar, qui peut t’y rappeler ?
Joachim est absent, tu le sais… Dans ton âme.
Peut-être pensais-tu que l’amour de sa femme
L’a déjà, malgré lui… — Non, non, dit Manassès,