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XV


Vos cœurs sont citoyens. Je le veux. Toutefois
Vous pouvez tout. Vous êtes hommes.
Hommes, d’un homme libre écoutez donc la voix.
Ne craignez plus que vous, magistrats, peuples, rois,
Citoyens, tous tant que nous sommes,
Tout mortel dans son cœur cache, même à ses yeux,
L’ambition, serpent insidieux,
Arbre impur, qui déguise une brillante écorce.
L’empire, l’absolu pouvoir
Ont, pour la vertu même, une mielleuse amorce.
Trop de désirs naissent de trop de force.
Qui peut tout, pourra trop vouloir.
Il pourra négliger, sûr du commun suffrage,
Et l’équitable humanité,
Et la décence au doux langage.
L’obstacle nous fait grands. Par l’obstacle excité,
L’homme, heureux à poursuivre une pénible gloire,
Va se perdre à l’écueil de la prospérité,
Vaincu par sa propre victoire.


XVI



Mais au peuple surtout sauvez l’abus amer
De sa subite indépendance.
Contenez dans son lit cette orageuse mer.
Par vous seuls dépouillé de ses liens de fer,
Dirigez sa bouillante enfance.
Vers les lois, le devoir, et l’ordre, et l’équité,
Guidez, hélas ! sa jeune liberté.