Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

désintéressement de la pensée et presque le détachement du succès, par une certaine ardeur enfin d’héroïsme et de sacrifice, il ne donne pourtant au style aucune couleur particulière. La métaphore s’y montre rarement. La langue est noble, pure, ferme, pas très-éclatante : elle pourrait même, par moments, l’être plus, sans le paraître trop. Ce qui me frappe, c’est la raison et l’énergie : l’idée du talent ne vient qu’après. On y sentirait par endroits le souffle éloquent et véhément de l’orateur, plus encore que la veine du poète. André Chénier, fidèle en ceci au goût antique, ne mêle point les genres.

Un des points les plus importants de la polémique d’André Chénier est la dénonciation qu’il fit de la Société des Jacobins, dans l’article intitulé : De la Cause des Désordres qui troublent la France et arrêtent l’Établissement de la Liberté, et inséré dans le Supplément au Journal de Paris, du 26 février 1792. Il montre que cette Société, et toutes celles qui en dépendent, ces Confréries usurpatrices, « se tenant toutes par la main, forment une sorte de chaîne électrique autour de la France » ; qu’elles forment un État dans l’État ; que « l’organisation de ces Sociétés est le système le plus complet de désorganisation sociale qu’il y ait jamais eu sur la terre. » C’est à cette Société des Jacobins qu’il pensait encore, quand il disait : « Aux talents et à la capacité près, ils ressemblent à la Société des Jésuites. » Il fait sentir la distinction profonde qu’il y a entre le vrai peuple, dont, suivant lui, la bourgeoisie laborieuse est le noyau, et ces Sociétés, où un infiniment petit nombre de Français parais-