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leurs complices, leurs amis, leurs pareils, les foulent aux pieds ; et l’homme de bien, en applaudissant à leur chute, ne se mêle point à la foule qui les outrage. Mais jusque-là, même en supposant que l’exemple d’une courageuse franchise ne soit d’aucune utilité, démasquer sans aucun ménagement des factieux avides et injustes, est un plaisir qui n’est pas indigne d’un honnête homme.

Enfin, c’est le même sentiment qu’il prête à Charlotte Corday, dans l’Ode éloquente où il l’a célébrée :

Oh ! quel noble dédain fit sourire ta bouche,
Quand un brigand, vengeur de ce brigand farouche,
Crut te fait pâlir aux menaces de mort !

Tel se dessine à nous André Chénier, dans sa courte et vaillante carrière politique. Ce qui l’anime et le dirige, ce n’est pas la pensée [d’un politique supérieur, ambitieux et généreux, qui veut arriver au pouvoir et l’arracher des mains d’indignes adversaires. Le sentiment qui le jette hors de lui et le porte en avant est surtout moral : c’est la haine de l’homme intelligent contre les brouillons, de l’homme d’esprit contre la sottise, de l’homme de cœur contre les lâches manœuvres et les infamies ; c’est le dédain d’un stoïcien passionné et méprisant contre la tourbe de ceux qui suivent le torrent populaire et qui flagornent aujourd’hui la multitude comme ils auraient hier adulé les rois ; c’est l’expression irrésistible d’une noble satire qui lui échappe, qui se profère avec indignation et bonheur, qui se satisfait quand même, dit-elle ne produire d’autre effet en s’exhalant que de soulager une bile généreuse. Son inspiration en ceci