Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/51

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en disant : Ô jeune infortunée… (quelque chose de tendre et d’antique) ; puis il remonte à cheval, et s’en va la tête penchée, et, mélancoliquement, il s’en va

Pensant à son épouse et craignant de mourir.

(Ce pourrait être le voyageur qui conte lui-même à sa famille ce qu’il a vu le matin[1].)

Mais c’est assez de fragments : donnons une pièce inédite entière, une perle retrouvée, la Jeune Locrienne, vrai pendant de la Jeune Tarentine. À son brusque début, on l’a pu prendre pour un fragment, et c’est ce qui l’aura fait négliger : mais André aime ces entrées en matière imprévues, dramatiques ; c’est la jeune Locrienne qui achève de chanter :

« Fuis, ne me livre point. Pars avant son retour ;
« Lève-toi ; pars, adieu ; qu’il n’entre, et que ta vue
« Ne cause un grand malheur, et je serais perdue !
« Tiens regarde, adieu, pars : ne vois-tu pas le jour ? »
— Nous aimions sa naïve et riante folie.
Quand soudain, se levant, un sage d’Italie,
Maigre, pâle, pensif, qui n’avait point parlé.
Pieds nus, la barbe noire, un sectateur zélé
Du muet de Samos qu’admire Métaponte,
Dit : « Locriens perdus, n’avez-vous pas de honte ?
Des mœurs saintes jadis furent votre trésor.
Vos vierges, aujourd’hui riches de pourpre et d’or,
Ouvrent leur jeune bouche à des chants adultères.
Hélas ! qu’avez-vous fait des maximes austères
De ce berger sacré que Minerve autrefois
Daignait former en songe à vous donner des lois ? »

  1. Pages 102 et 273.