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Les belles sont partout. Pour chercher les beaux-arts,
Des Alpes vainement j’ai franchi les remparts :
Rome d’amours en foule assiége mon asile.
Sage vieillesse, accours ! Ô déesse tranquille,
De ma jeune saison éteins ces feux brûlants,
Sage vieillesse ! Heureux qui dès ses premiers ans
À senti de son sang, dans ses veines stagnantes,
Couler d’un pas égal les ondes languissantes ;
Dont les désirs jamais n’ont troublé la raison ;
Pour qui les yeux n’ont point de suave poison ;
Au sein de qui jamais une absente perdue
N’a laissé l’aiguillon d’une trop belle vue[1] ;
Qui, s’il regarde et loue un front si gracieux,
Ne le voit plus sitôt qu’il n’est plus sous ses yeux !
Doux et cruels tyrans, brillantes héroïnes,
Femmes, de ma mémoire habitantes divines,
Fantômes enchanteurs, cessez de m’égarer.
Ô mon cœur ! ô mes sens ! laissez-moi respirer ;
Laissez-moi, dans la paix et l’ombre solitaire,
Travailler à loisir quelque œuvre noble et fière
Qui, sur l’amas des temps propre à se maintenir,
Me recommande aux yeux des âges à venir.
Mais non ! j’implore en vain un repos favorable ;
Je t’appartiens, Amour, Amour inexorable ;
Et tu ne permets pas à ton esclave amant
De pouvoir loin de toi se distraire un moment ![2]


Eh bien ! allons, conduis-moi aux pieds de… je ne refuse aucun esclavage… Conduis-moi vers elle, puisque c’est elle

  1. Le premier éditeur avait retranché ces doux vers.
  2. Le premier éditeur avait également retranché ces deux vers.