Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/374

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Même au sein du bonheur, toujours dans ton esprit
Garde ce qu’autrefois les sages ont écrit :
Une femme est toujours inconstante et futile,
Et qui pense fixer leur caprice mobile,
Il pense, avec sa main, retenir l’aquilon,
Ou graver sur les flots un durable sillon. »



Mais, quelque soin jaloux et vigilant
Dont ton amour ait vu sa poursuite éludée,
Fuis d’employer jamais ces armes de Médée,
Des herbes de Colchos ces philtres embrasés,
Sous un sucre menteur ces poisons déguisés,
Qui, lui soufflant un feu mécanique et rapide.
Offusquent sa raison d’un nuage perfide ;
Victoire fausse et lâche, indigne et vil détour
Que l’orgueil désavoue encor plus que l’amour !
Quelle gloire, en effet, quel plaisir, quand on aime.
De tenir une belle absente d’elle-même.
Qui, ne voyant plus rien, livre sans le savoir
Un cœur que tyrannise un aveugle pouvoir !
N’est-ce pas avouer que ton mérite habile
Craignait, pour se montrer, un œil libre et tranquille ?
Et que tu n’eus jamais cet aimable poison
Qui sait si doucement enivrer la raison ?
Certes, quand une belle en mes bras s’abandonne,
Je veux qu’elle reçoive un baiser que je donne ;
Que le sien y réponde, et, soumise à ma loi,
Qu’elle soit elle-même et sente que c’est moi.



Ou ton projet sera la toile fugitive
De cette Pénélope, assiégée et captive,