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Et toi lampe nocturne, astre cher à l’amour,
Sur le marbre posée, ô toi ! qui, jusqu’au jour,
De ta prison de verre éclairais nos tendresses,
C’est toi qui fus témoin de ses douces promesses ;
Mais, hélas ! avec toi son amour incertain
Allait se consumant, et s’éteignit enfin ;
Avec toi les serments de cette bouche aimée
S’envolèrent bientôt en légère fumée.
Près de son lit, c’est moi qui fis veiller tes feux
Pour garder mes amours, pour éclairer nos jeux ;
Et tu ne t’éteins pas à l’aspect de son crime !
Et tu sers aux plaisirs d’un rival qui m’opprime !
Tu peux, fausse comme elle et comme elle sans foi,
Être encor pour autrui ce que tu fus pour moi,
Montrant à d’autres yeux, que tu guides sur elle,
Combien elle est perfide et combien elle est belle !

— Poète malheureux, de quoi m’accuses-tu ?
Pour te la conserver j’ai fait ce que j’ai pu.
Mes yeux, dans ses forfaits même ont su la poursuivre,
Tant que ses soins jaloux me permirent de vivre.
Hier, elle semblait en efforts languissants
Avoir peine à traîner ses pas et ses accents.
Le jour venait de fuir, je commençais à luire ;
Sa couche la reçut, et je l’ouïs te dire
Que de son corps souffrant les débiles langueurs
D’un sommeil long et chaste imploraient les douceurs.
Tu l’embrasses, tu pars, tu la vois endormie.
À peine tu sortais, que cette porte amie
S’ouvre : un front jeune et blond se présente, et je vois
Un amant aperçu pour la première fois.