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Le fer libérateur qui percerait mon sein
Déjà frappe mes yeux et frémit sous ma main ;
Et puis mon cœur s’écoute et s’ouvre à la faiblesse :
Mes parents, mes amis, l’avenir, ma jeunesse,
Mes écrits imparfaits ; car, à ses propres yeux,
L’homme sait se cacher d’un voile spécieux.
À quelque noir destin qu’elle soit asservie,
D’une étreinte invincible il embrasse la vie.
Et va chercher bien loin, plutôt que de mourir.
Quelque prétexte ami de vivre et de souffrir.
Il a souffert, il souffre : aveugle d’espérance,
Il se traîne au tombeau de souffrance en souffrance,
El la mort, de nos maux ce remède si doux,
Lui semble un nouveau mal, le plus cruel de tous
Je vis. Je souffre encor ; battu de cent naufrages,
Tremblant, j’affronte encor la mer et les orages,
Quand je n’ai qu’à vouloir pour atteindre le port !
Lâche ! aime donc la vie, ou n’attends pas la mort[1].


XXXV[2]


Allons, l’heure est venue, allons trouver Camille.
Elle me suit partout. Je dormais, seul tranquille ;
Un songe me l’amène, et mon sommeil s’enfuit
Je la voyais en songe au milieu de la nuit ;
Elle allait me cherchant sur sa couche fidèle,

  1. Ces quatre derniers vers ne sont que dans l’édition de G. de Chénier.
  2. Édition 1819.