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Ils s’animent encore à des plaisirs nouveaux ;
Qu’au matin sur sa couche à me lire empressée,
Lise du cloître austère éloigne sa pensée ;
Chaque bruit qu’elle entend, que sa tremblante main
Me glisse dans ses draps et tout près de son sein ;
Qu’un jeune homme, agité d’une flamme inconnue,
S’écrie aux doux tableaux de ma muse ingénue :
« Ce poëte amoureux, qui me connaît si bien,
Quand il a peint son cœur, avait lu dans le mien. »


XXXI[1]


De Pange, le mortel dont l’âme est innocente,
Dont la vie est paisible et de crimes exempte,
N’a pas besoin du fer qui veille autour des rois,
Des flèches dont le Scythe a rempli son carquois,
Ni du plomb que l’airain vomit avec la flamme.
Incapable de nuire, il ne voit dans son âme
Nulle raison de crainte, et loin de s’alarmer,
Confiant, il se livre aux délices d’aimer.
Ô de Pange ! ami sage, est bien fou qui s’ennuie.
Si les destins deux fois nous permettaient la vie,
L’une pour les travaux et les soins vigilants,
L’autre pour les amours, les plaisirs nonchalants,
On irait d’une vie âpre et laborieuse
Vers l’autre vie au moins pure et voluptueuse.
Mais si nous ne vivons, ne mourons qu’une fois,

  1. Édition 1819.