Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/315

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À sa mère immortelle en a moins fait répandre !
Que dis-je ? sa vengeance ose en venir aux coups ;
Elle me frappe. Et moi, je feins dans mon courroux
De la frapper aussi, mais d’une main légère,
Et je baise sa main impuissante et colère ;
Car ses bras ne sont forts qu’aux amoureux exploits.
La fureur ne peut même aigrir sa douce voix.
Ah ! je l’aime bien mieux injuste qu’indolente.
Sa colère me plaît et décèle une amante.
Si j’ai peur de la perdre, elle tremble à son tour ;
Et la crainte inquiète est fille de l’amour.
L’assurance tranquille est d’un cœur insensible…
Loin ! à mes ennemis une amante paisible ;
Moi, je hais le repos. Quel que soit mon effroi
De voir de si beaux yeux irrités contre moi,
Je me plais à nourrir de communes alarmes.
Je veux pleurer moi-même, ou voir couler ses larmes. ;
Accuser un outrage ou calmer un soupçon,
Et toujours pardonner ou demander pardon.

Mais quels éclats, amis ? C’est la voix de Julie :
Entrons. Ô quelle nuit ! joie, ivresse, folie !
Que de seins envahis et mollement pressés !
Malgré de vains efforts que d’appas caressés !
Que de charmes divins forcés dans leur retraite !
Il faut que de la Seine, au cri, de notre fête,
Le flot résonne au loin, de nos jeux égayé,
Et qu’en son lit voisin le marchand éveillé,
Écoutant nos plaisirs d’une oreille jalouse,
Redouble ses baisers à sa trop jeune épouse.