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Allez, Muses, partez. Votre art m’est inutile ;
Que me font vos lauriers ? vous laissez fuir Camille.
Près d’elle je voulais vous avoir pour soutien,
Allez, musés, partez, si vous n’y pouvez rien.

Voilà donc comme on aime ! On vous tient, vous caresse ;
Sur les lèvres toujours on a quelque promesse :
Et puis… Ah ! laissez-moi, souvenirs ennemis,
Projets, attente, espoir, qu’elle m’avait permis.
— Nous irons au hameau. Loin, bien loin de la ville,
Ignorés et contents, un silence tranquille
Ne montrera qu’au ciel notre asile écarté.
Là son âme viendra m’aimer en liberté.
Fuyant d’un luxe vain l’entrave impérieuse,
Sans suite, sans témoins, seule et mystérieuse,
Jamais d’un œil mortel un regard indiscret
N’osera la connaître et savoir son secret.
Seul, je vivrai pour elle, et mon âme empressée
Épiera ses désirs, ses besoins, sa pensée.
C’est moi qui ferai tout ; moi, qui de ses cheveux
Sur sa tête le soir assemblerai les nœuds.
Par moi, de ses atours à loisir dépouillée,
Chaque jour par mes mains la plume amoncelée
La recevra charmante ; et mon heureux amour
Détruira chaque nuit cet ouvrage du jour.
Sa table par mes mains sera prête et choisie ;
L’eau pure, de ma main lui sera l’ambroisie.
Seul, c’est moi qui serai partout, à tout moment,
Son esclave fidèle et son fidèle amant. —
Tels étaient mes projets, qu’insensés et volages
Le vent a dissipés parmi de vains nuages !