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Et dans ses yeux divins, pleins de grâces, de charmes,
Le sourire ou la haine, arbitres de mon sort,
Vont ou me pardonner, ou prononcer ma mort.


XXII[1]


Ô nuit, nuit douloureuse ! ô toi, tardive aurore,
Viens-tu ? vas-tu venir ? es-tu bien loin encore ?
Ah ! tantôt sur un flanc, puis sur l’autre au hasard,
Je me tourne et m’agite, et ne peux nulle part
Trouver que l’insomnie amère, impatiente,
Qu’un malaise inquiet et qu’une fièvre ardente.
Tu dors, belle D’…z…[2] ; et c’est toi, mon amour
Qui retient ma paupière ouverte jusqu’au jour.
Si tu l’avais voulu, dieux ! Cette nuit cruelle
Aurait pu s’écouler plus rapide et plus belle.
Mon âme comme un songe autour de ton sommeil
Voltige. En me lisant, demain à ton réveil
Tu verras, comme toi, si mon cœur est paisible.
J’ai soulevé, pour toi, sur ma couche pénible
Ma tête appesantie. Assis, et plein de toi,
Le nocturne flambeau qui luit auprès de moi
Me voit, en sous plaintifs et mêlés de caresses,
Verser sur le papier mon cœur et mes tendresses.
Tu dors, belle D’…z… ; tes doux yeux sont fermés.
Ton haleine de rose aux soupirs embaumés
Entr’ouvre mollement tes deux lèvres vermeilles.
Mais, si je me trompais ! dieux ! ô dieux ! si tu veilles,

  1. Éditions 1819.
  2. Voy. la note 1 de la page 125.