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XII[1]


 
J’ai suivi les conseils d’une triste sagesse.
Je suis donc sage enfin ; je n’ai plus de maîtresse.
Sois satisfait, mon cœur. Sur un si noble appui
Tu vas dormir en paix dans ton sublime ennui.
Quel dégoût vient saisir mon âme consternée,
Seule dans elle-même, hélas ! emprisonnée ?
Viens, ô ma lyre ! ô toi mes dernières amours ;
(Innocentes du moins) viens, ô ma lyre ; accours.
Chante-moi de ces airs qu’à ta voix jeune et tendre
Les lyres de la Grèce ont su jadis apprendre.
Quoi ! je suis seul ? Ô Dieux ! où sont donc mes amis ?
Ah ! ce cœur qui toujours à l’amitié soumis,
D’étendre ses liens fit son besoin suprême,
Faut-il l’abandonner, le laisser à lui-même ?
Où sont donc mes amis ? Objets chéris et doux !
Je souffre, ô mes amis ! Ciel ! où donc êtes-vous ?
À tout ce qu’elle entend, de vous seuls occupée,
De chaque bruit lointain mon oreille frappée,
Écoute ; et croit souvent reconnaître vos pas ;
Je m’élance, je cours, et vous ne venez pas !

Ah ! vous accuserez votre absence infidèle,
Quand vous saurez qu’ainsi je souffre et vous appelle.
Que je plains un méchant ! Sans doute avec effroi
Il porte à tout moment les yeux autour de soi ;
Il n’y voit qu’un désert ; tout fuit, tout se retire.

  1. Édition 1819.